Supposons, par exemple, une sphère dont un hémisphère soit bleu et l'autre rouge ; elle nous présente d'abord l'hémisphère bleu ; puis elle tourne sur elle-même de façon à nous présenter l'hémisphère rouge. Soit maintenant un vase sphérique contenant un liquide bleu qui devient rouge par suite d'une réaction chimique. Dans les deux cas la sensation du rouge a remplacé celle du bleu ; nos sens ont éprouvé les mêmes impressions qui se sont succédé dans le même ordre, et pourtant ces deux changements sont regardés par nous comme très différents ; le premier est un déplacement, le second un changement d'état. Pourquoi ?
Parce que, dans le premier cas, il me suffit de tourner autour de la sphère pour me placer vis-à-vis de l'hémisphère rouge et rétablir la sensation rouge primitive.
Autre exemple. Un objet s'est déplacé devant mon œil, son image se formait d'abord au centre de la rétine ; elle se forme ensuite au bord ; la sensation ancienne m'était apportée par une fibre nerveuse aboutissant au centre de la rétine ; la sensation nouvelle m'est apportée par une autre fibre nerveuse partant du bord de la rétine ; ces deux sensations sont qualitativement différentes ; et sans cela comment pourrais-je les distinguer ?
Pourquoi alors suis-je conduit à juger que ces deux sensations, qualitativement différentes, représentent une même image qui s'est déplacée ? C'est parce que je puis suivre de l'œil et, par un déplacement de l'œil volontaire et accompagné de sensations musculaires, ramener l'image au centre de la rétine et rétablir la sensation primitive.
Henri Poincaré, la valeur de la science, Flammarion, coll. Science de la nature, 1970, p. 69 et p.70
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire